«Le courage, on le lui suppose : un sceau de mémoire.»
Depuis des années, parmi nos convives, nous avons accueilli des esprits de toutes sortes. Les échanges avec ceux qui nous rendent visite ont toujours été une source d’apprentissage, parfois exigeante, souvent stimulante. Mais en 2024, nous avons décidé de lancer un jeu.
Un clin d’œil aux anciennes fiches d’évaluation utilisées, il y a quelques décennies en Espagne, pour juger les performances de ceux qui effectuaient leur service militaire. On y évaluait la « conduite », « l’amour du service », « le caractère », « la propreté », ou encore « le degré de confiance ». Chaque critère recevait une mention : bon, normal ou mauvais.
Sauf un. Le courage.
À cette ligne, le plus souvent, un tampon venait clore la question : « ON LUI SUPPOSE » (SE LE SUPONE). En résumé, le courage était présumé. Un fait acquis, admis sans discussion.
C’est en repensant à cela que nous avons commencé à réfléchir à la façon dont les restaurants et les projets gastronomiques sont, eux aussi, évalués. Constamment. À partir de critères souvent instables, glissants, soumis aux marées du goût personnel – même si certains critiques gastronomiques s’efforcent de faire croire qu’il est possible de condenser toute la complexité d’un travail (avec ses tonnes d’efforts, de temps et de passion) en une note définitive, irrévocable.
Ainsi, les établissements passent – ou échouent – à l’examen : selon leur décoration ou leur éclairage, l’« ambiance », l’état des toilettes, le café ou le pain qu’ils servent (ou ne servent pas), la qualité du linge de table, le choix des ingrédients, les techniques de cuisine, ou encore leur offre en pâtisserie. Le monde va à toute vitesse, et la gastronomie, elle aussi, n’a cessé de s’adapter, d’évoluer, d’imaginer de nouveaux cadres d’expression, de plaisir, et pourquoi pas, de débat.
Mais que se passerait-il si l’on notait aussi des variables plus essentielles, plus impalpables, liées à des projets où la créativité est au cœur de tout ?
Et si, au lieu de mesurer le confort acoustique d’une salle ou le pedigree d’une carte des vins, on s’attardait sur des attributs comme la curiosité, le courage, ou la personnalité de l’équipe qui porte une proposition culinaire singulière ?
Et si, pour une fois, on changeait d’angle ?
Si l’on braquait le projecteur non plus sur ceux qui cuisinent, mais sur ceux qui s’asseyent à la table : les convives eux-mêmes ?
Le courage, on le leur suppose.
…Ou pas ?